Chapitre 2
Le pouvoir de l’amour
Alexei passa plusieurs heures à écouter Danielle lui parler de son travail. Lorsqu’elle manifesta le désir de se reposer, il l’installa dans leur chambre, à l’étage, et se rendit à l’ancien garage, qu’il avait transformé en quartier d’hiver pour ses plantes médicinales. Il lui faudrait bientôt les transplanter dans la cour, où elles s’épanouiraient, mais pour l’instant, elles étaient alignées sur des planches en bois, dans des pots de toutes les couleurs. Il les inspecta une par une avec la vigilance d’un douanier.
— As-tu besoin de moi, petit frère ? demanda Tatiana en s’arrêtant à la porte.
— Pas vraiment. Les plantes dorment encore.
Il se retourna lentement vers sa sœur.
— Nous ne craignons rien, ici, affirma Alexei, qui ressentait son inquiétude.
— Et si le Faucheur était prêt à tout pour punir les rebelles de la secte ?
— Je vous protégerai.
Tatiana fit quelques pas en pensant que les policiers pourraient sans doute poster des guetteurs sur les routes avoisinantes pour cueillir le procureur Desjardins au passage. Son frère capta ses pensées.
— Il n’y a qu’une seule façon d’arrêter le Faucheur et de libérer Danielle, répliqua-t-il.
— Combien de fois devrai-je te répéter que c’est l’amour qui triomphe de la peur et non le contraire ?
L’homme-loup se rembrunit.
— Alex, écoute-moi.
— Je ne peux pas aimer quelqu’un qui essaie de me lier. Arrête de me le demander.
Tatiana sentit se former le mur invisible que son frère dressait autour de lui lorsqu’il se sentait menacé.
— Promets-moi de ne pas répandre le sang.
— Je ne peux pas te promettre ça.
— Tu as un bel avenir devant toi, petit frère. Je t’en prie, ne va pas tout gâcher.
— Tu as donc vu ce qui va m’arriver…
— J’ai vu de petites fées qui seront tes filles et qui t’enseigneront à utiliser tes pouvoirs pour faire le bien. Si tu cèdes à la violence, elles ne pourront pas exister.
— Mais si je ne mets pas fin aux activités meurtrières du Faucheur, rien de tout ça ne se produira.
— Alex…
— Ne perds pas ton temps. Je sais ce que je fais.
Personne n’était plus têtu qu’Alexei Kalinovsky. Tatiana sortit du garage, afin de lui donner le temps de réfléchir.
* * *
Lorsqu’elle constata que son amoureux n’était plus là, Danielle descendit au salon en serrant les pans de sa veste de laine autour d’elle. Alexanne était toujours assise devant l’ordinateur, bien décidée à terminer sa dissertation avant le souper.
— Comment te débrouilles-tu ? demanda Danielle en s’approchant d’elle.
— Je ne pourrais jamais étudier de cette façon toute ma vie. Je ne m’y astreins que parce que c’est temporaire. Dès que j’aurai terminé mon secondaire, je m’enfuirai pour aller étudier au cégep.
Alexanne se tourna vers la travailleuse sociale.
— Pendant que j’y pense, toi aussi, tu pourrais recommencer à travailler en te servant de mon ordinateur.
— Pour ça, il faudrait que j’arrive à me concentrer. Je sais que cette maison est protégée par les anges, mais c’est plus fort que moi. J’ai peur de Frédéric.
— Alex est redoutable quand il décide de protéger quelqu’un. Il a terrorisé tout le village, l’an dernier, quand il m’a crue en danger. À ta place, je ne m’en ferais pas trop. Si le procureur ose mettre les pieds ici, il sera mort dans le temps de le dire.
— Je préférerais qu’il ne tue personne.
— C’était juste une façon de parler.
Danielle lui sourit avec gratitude. La sonnerie du téléphone la fit alors sursauter. Avec l’enthousiasme de sa jeunesse, Alexanne s’empressa de décrocher le combiné.
— Maison des fées, répondit-elle en voyant sur l’afficheur qu’il s’agissait de son petit ami.
* * *
Pensionnaire chez son oncle, Matthieu était assis sur le lit de la chambre d’amis, les jambes croisées. Son isolement à Québec lui permettait d’obtenir d’excellentes notes, mais Alexanne lui manquait beaucoup. L’adolescent avait accroché sur les murs de la pièce quelques affiches de ses groupes musicaux préférés et des photographies de la jeune fée qui faisait battre son cœur. Son père lui avait offert un nouvel ordinateur qui trônait sur l’unique bureau, et un téléphone cellulaire qu’il utilisait avec modération.
— Es-tu revenu chez toi ? voulut savoir Alexanne.
— Non, je suis toujours à Québec. Mon oncle et ma tante sont super, mais je ne suis pas chez moi… et tu n’es pas là.
— Est-ce que tu seras bientôt en congé ?
— Mon père m’a demandé de rentrer pour Pâques. Il a préparé une sortie avec ma mère et il aimerait que je fasse la chasse aux œufs avec mes petites sœurs. Palpitant, n’est-ce pas ?
— Ça pourrait le devenir si tu me permettais de vous accompagner. Je me déguiserais en lapin.
— Je trouvais ça tellement stupide que je ne voulais même pas t’en parler.
— Moi, tant que je suis avec toi, je me moque bien de ce que nous faisons.
— Ça me fait plaisir de l’entendre, mais des fois, je me dis que je ne mérite pas une fille aussi merveilleuse que toi.
— Tu es vraiment déprimé, dis donc.
— J’ai eu une tonne d’examens cette semaine.
— Moi aussi, mais j’imagine que c’est plus stressant lorsqu’on doit les passer dans une classe, sous la surveillance d’un professeur.
— Je m’en tire bien quand je n’en ai qu’un ou deux par semaine, mais ces derniers temps, j’en compte plutôt trois par jour.
— Est-ce tout ce que tu as fait depuis notre dernière conversation ?
— Non. J’ai aussi pensé à toi.
— Comme c’est mignon…
— Je n’essaie pas d’être gentil. Je te dis la vérité.
Matthieu lui raconta ses journées en détail. Même si elles se ressemblaient toutes, Alexanne l’écouta avec attention, heureuse d’entendre sa voix.
— Si je me déguise pour Pâques, en feras-tu autant ? demanda-t-elle finalement.
— Il n’en est pas question ! Tout le monde me connaît à Saint-Juillet !
Ils continuèrent à parler de tout et de rien, jusqu’à ce que le jeune homme soit obligé de retourner à ses révisions.